« En fait, Tchekhov, Marivaux, c’est un peu les feux de l’amour »

Ou, apprivoiser les Grands Classiques pour les mettre entre les mains de tous

Un atelier d’apprentissage et d’initiation

N’en déplaise à ces deux géants d’un théâtre dit aujourd’hui « classique » qui se retourneront à loisir dans leurs tombeaux, cette réaction face à l’explication des trames de la Mouette et de l’Epreuve de la part des participants à l’atelier « Des amours contraintes », organisé par Interleukin avec la complicité de la Compagnie de la Volière à Lourches, ne manque pas d’une certaine justesse.

Effectivement si nous voulons parler de démocratisation culturelle, il faut nous mettre dans la position des sans-culottes de 1789 qui ont, eux, su désacraliser le pouvoir pour le rendre démocratique. De la même façon, désacraliser la culture contribue à sa démocratisation.

Jean Vilar, Jacques Copeau et leurs nombreux successeurs se sont en leur temps battu pour la démocratisation culturelle, en la décentralisant, en créant un théâtre riche et élitaire (comprendre ici, « de qualité » ou « exigeant ») hors de Paris pour ce que certains appellent encore la « province », depuis le réseau des scènes conventionnées n’a eu de cesse de démocratiser le Théâtre le rendant aussi, parfois plus encore, accessible qu’une séance de cinéma dans un multiplex. Cependant qu’aurait on pensé des sans culottes s’ils n’avaient fait que permettre la consultation du pouvoir au plus grand nombre ? N’y aurait-il pas eu un gout de trop peu si les portes de l’exercice du pouvoir n’étaient ouvertes qu’à des élites ? Et n’est-ce pas, malgré tout, toujours un peu le cas ?

De la même façon, est ce que la « création artistique » pourrait être démocratique dans un monde ou seul des « créateurs » pourraient la pratiquer ?

C’est quelque part pour répondre à cette question que l’atelier d’expression de Lourches a fait appel à Interleukin et la jeune Compagnie de la Volière menée par Clément De Preiter B. Le but étant d’organiser non pas un atelier thématique, mais un atelier d’apprentissage et d’initiation aux techniques de mises en scène et d’interprétation. Cet atelier s’est déroulé en trois temps à savoir, l’acquisition d’outils culturels et d’outils d’analyse, d’où le choix d’extraits de ces classiques, le développement de capacités d’appropriation de la scène et de l’œuvre écrite, et enfin la mise en pratique sur scène par l’interprétation.

Vers l’insertion sociale et professionnelle

C’est à travers ces axes que des similitudes avec le chemin vers l’emploi ou l’insertion sociale sont apparues clairement dans les esprits des participants. Le fait de développer les notions propres à la scène telles que la « situation », le « conflit », et l’ « objectif » et de voir comment des personnages fictifs d’une autre époque sont traversés par ces notions, avec des mots qui ne sont plus les notre, fait surgir en eux les problématiques de la résignation sociale, des inégalités, de processus de reproductions et d’éducation, de manière tout aussi efficace que lors d’ateliers plus ciblés car elles naissent naturellement chez les participants. Alors, lorsque Macha se confie à Trigorine, sur l’amour qu’elle porte à Treplev, qui lui aime Nina qui elle aime Trigorine, ou lorsque Lucidor manipule Angélique, plongeant son valet Frontin dans une intrigue de travestissement de classes, il ne s’agit plus de simples histoires d’ « Amours contraintes » mais bel et bien d’enjeux citoyens et d’éducation populaire.

Une volonté d’aller plus loin

C’est alors qu’un simple atelier ne suffit plus et qu’une soif de nouveaux outils émerge, un besoin de compléter ces compétences d’expression au-delà de notre atelier.

En partenariat avec Interleukin et les spectacles de la CAPH, le groupe se forme une culture et des outils de réflexion grâce aux ciné-débats et aux débriefings de spectacles pertinemment choisis et accompagné par l’intervenant, on se constitue un langage commun. Ensuite, un atelier de découverte du jeu burlesque dans le cadre du CLEA avec Jacques Motte autour du spectacle de Giles Defacque « Loin d’être fini » permet une rencontre avec l’équipe du Prato à Lille, rencontre qui aboutira dans le cadre des pratiques langagière à un atelier supplémentaire d’écriture poétique qui achèvera d’enrichir ce parcours d’expression hors normes, suivi assidument et avec entrain encore par les participants du groupe d’expression.

De Lourches à Lille en passant par Douchy-les-Mines et d’autres communes de la CAPH, le groupe ADEL, a pu s’approprié à sa manière les extraits de ces deux pièces du répertoire, avec trac bien-sûr mais sans complexes, lors d’une représentation ouverte à un public restreint sous forme de « masterclass »… Une belle fin ? Non, mais plutôt une continuité avec toutes les actions déjà entreprises en amont avec Interleukin et un simple début vers de nouveaux projets, notamment de création artistique autour de thèmes forts tenant au cœur de cette association à savoir l’acceptation de soi, la lutte contre les exclusions sociales et culturelles, la tête haute avec humilité et, maintenant, savoir-faire.

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